samedi 20 juin 2020

ENQUÊTES EN DES TEMPS TROUBLÉS

Chercheur, journaliste, financier devenu écrivain, chacun a enquêté dans son champ. Entre réalité brutale et pure fiction, ces auteurs livrent des ouvrages très éclairants.

 Didier Fassin est sociologue, anthropologue et médecin. Son livre récent, Mort d’un voyageur. Une contre-enquête (Seuil 2020) n’est pas un roman. C’est la relation minutieuse de la mort d’Angelo, un gitan en cavale après une permission de sortir, abattu par des militaires du GIGN dans une annexe de la ferme de ses parents. Après avoir été mis en examen, les gendarmes incriminés ont bénéficié d’une ordonnance de non-lieu confirmée en appel. Les proches d’Angelo continuent d’exiger que la vérité soit reconnue et que justice soit rendue.

Didier Fassin connaît les milieux policier, judiciaire, pénitentiaire pour y avoir mené de nombreuses recherches en France et aux États-Unis. La contre-enquête qu’il a entreprise après la mort d’Angelo est méticuleuse, méthodique, argumentée, complète. Elle analyse les pièces du dossier, elle reprend les dépositions des témoins en accordant la même importance à tous les récits, sans porter de jugement. Examinant témoignages et documents, l’auteur met en lumière les distorsions, les manipulations, les omissions qui ont conduit à dissoudre les responsabilités. L’analyse est particulièrement éclairante, le constat est accablant.
Le récit de cette tragédie, rapporté avec beaucoup d’humanité, déjoue les mécanismes susceptibles de dissimuler la vérité. Il appelle aussi au respect de ceux que la société et les institutions relèguent à la marge.
Une présentation du livre est ici.


 Correspondant du quotidien Le Monde à Moscou, lauréat en 2019 du prix Albert-Londres, Benoît Vitkine observe la guerre qui sévit à l’est de l’Ukraine et en rend compte pour son journal. Donbass (Equinox/Les Arènes 2020), son premier roman, est une enquête policière sur fond de guerre.
Près de la ligne de front, la vie quotidienne s’accommode d’une certaine routine de la guerre qui ensanglante la région. C’est la part de réalité du livre. La fiction commence par l’assassinat d’un enfant. Le chef de la police locale, désabusé mais conscient de sa responsabilité, amorce son enquête avec détermination. Sans grand succès, car ses initiatives sont le plus souvent contrecarrées par ses collègues et ses chefs. Sans oublier les nombreux trafics qui s’opèrent dans chaque camp. De plus, reviennent, à intervalles répétés, des souvenirs de l’invasion soviétique en Afghanistan, des séquelles que cette guerre a laissées dans les corps et les esprits de ceux qui en sont revenus vivants.
La guerre est omniprésente dans le roman, l’intrigue policière en est enveloppée. Elle altère la vie quotidienne, elle oblige à des séparations, des déplacements, des ajustements pour survivre. L’auteur en rappelle les enjeux, en évoque les conséquences sur la vie politique et sociale de la région.
Mêlant adroitement réalité et fiction, ce roman est présenté ici, à lire et à écouter. 

 Pure fiction ! Quoique… Le café, « noir comme l’enfer, fort comme la mort, doux comme l’amour », peut avoir un goût très amer. C’est ce que démontre Bertrand Puard, financier devenu écrivain, dans Ristretto (Fleuve Noir 2019), un roman qui révèle quelques arcanes des marchés des matières premières.
A la fin du XXe siècle, au Brésil, une petite plantation de Santos produit un café d’exception. Accompagnés d’un acheteur, des mercenaires viennent menacer le propriétaire du domaine qui incite les syndicats à lutter contre l’emprise d’une multinationale. L’assaut se termine par le massacre du planteur, de sa famille, de ses employés et de sa plantation.
Vingt ans plus tard, des meurtres sont commis en différents endroits de la planète. Les victimes ont toutes été employées de la Premium, un groupe financier international, et chaque crime est signé d’une esperluette rouge sang gravée sur un grain de café.
Une ancienne déontologue du groupe est chargée d’enquêter sur les malversations qui se jouent dans les salles des marchés. Son enquête, basée en France et constamment menacée de toutes sortes de manipulations, l’emmène à travers le monde, entre autres dans les pays producteurs de café : au Vietnam, en Éthiopie, au Brésil. Les multiples soubresauts des investigations impriment un bouillonnement à ce roman tonique présenté ici. L’enfer et la mort mêlés d’un peu d’amour !

jeudi 21 mai 2020


  135 … A vol d’oiseau  

 Des médias aux  forces de l’ordre, un seul mot « 135  euros » : c’est l’amende infligée  à toute personne qui enfreint la limitation de déplacement dans un rayon  100 km autour de son domicile (sauf exceptions) .
Donc, comment visualiser  une distance de 100 km à vol d’oiseau ?
1ère solution : prendre  une carte à petite échelle (exemple : 1/1000000), relever l’échelle, calculer en cm la représentation sur la carte de la distance de 100 km, au cas particulier cela fait 10 cm …
Avec un compas dont les branches sont écartées de 10 cm, fixer une pointe sur le domicile et tracer un cercle avec l’autre branche.
2éme solution : allez sur le site 100km.space, taper l’adresse de votre domicile et le rayon de 100 km s’affiche automatiquement …
Bon week-end !

jeudi 30 avril 2020


1er Mai 2020
Cette année, covid-19 oblige, il n’y aura pas de cortèges pour animer la fête du travail. Mais, nous pouvons innover : manifester sur les réseaux sociaux avec des pancartes virtuelles pour des revendications,qui par contre, sont bien réelles. Solidaire de ceux qui font réellement tourner l’économie et font face au virus, ma pancarte emprunte un dessin de « Coco », dessinatrice à Charlie Hebdo.



lundi 6 avril 2020

Sérénité …

 C’est peu dire que l’information scientifique fait défaut en cette période de pandémie. L’emballement médiatique sur tel ou tel aspect de la covid-19 n’aide en rien le citoyen. Alors, ce temps de confinement peut être mis à profit pour contrecarrer ce biais. Aller voir par soi-même des sites à résonance scientifique reconnue  et s’interroger de manière critique sont sans doute les meilleurs moyens pour traverser cette phase avec un peu de sérénité. Quelques repères :

France-Culture propose chaque jour un point scientifique sur l’avancée des connaissances. Site : https://www.franceculture.fr/emissions/radiographies-du-coronavirus

Le Collège de France a mis en ligne le 16 mars 2020 la conférence du Professeur Philippe  Sansonetti intitulé « Covid-19 ou la chronique d’une émergence annoncée ». Site : https://www.college-de-france.fr/site/college/index.htm
Vidéo :


L’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales a élaboré une » liste de textes pour aller plus loin ». Site : https://www.ehess.fr/fr/carnet/covid-19-bibliographie

En matière scientifique aussi, l’humour n’est pas interdit. La parodie d’une célèbre encyclopédie en ligne qui traite du « macronavirus » est drôle et bien sympathique ! Site : http://macronavirus.ouvaton.org/

lundi 30 mars 2020


Vous avez du courrier …
France-Inter a la bonne idée de demander, quotidiennement, à un auteur d’écrire une lettre adressée à qui il souhaite et portant sur le sujet de son choix. Les lettres sont lues  par Augustin Trapenard et diffusées vers 8h55 par la radio. Ces lettres peuvent être aussi lues sur le lien suivant : https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur-par-augustin-trapenard
Parmi celles déjà publiées, j’ai retenue celle d’Annie Ernaux :

Cergy, le 30 mars 2020

Monsieur le Président,

« Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps ». À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants. Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et  ce qu’on pouvait lire sur la  banderole  d’une manif  en novembre dernier -L’état compte ses sous, on comptera les morts - résonne tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux,  tout ce jargon technocratique dépourvu de  chair qui noie le poisson de la réalité. Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays : les hôpitaux, l’Education nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de  livrer des pizzas, de garantir  cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle,  la vie matérielle.  
Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas  là. Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps   pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent  déjà  sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde  dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, Nombreux à vouloir au contraire un monde  où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité. Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie,  nous n’avons qu’elle, et  « rien ne vaut la vie » -  chanson, encore, d’Alain  Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui  permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.

Annie Ernaux

vendredi 27 mars 2020


ASTERIX, TINTIN, MOWGLI, MOBY DICK etc. …

Par ces temps de confinement, France-Culture a mis en ligne des fictions à écouter. Destinées aux enfants et aux plus grands, il suffit de se rendre sur le site suivant : une sélection de fictions jeunesse à écouter. Puis :
-       - Sélectionner une histoire en fonction de l’âge de la personne et de l’heure de la journée (Astérix, Tintin, Le Petit Nicolas, Mowgli, Tom Sayer, Huckleberry Finn et bien d’autres ...),
-       -  Mettre le son,
-        - Éteindre l’écran
-       -  Et enfin écouter l’histoire …

lundi 23 mars 2020


From us, for you

Merci à Elisabeth C., résidente du Vermont (USA), qui nous a transmis ce lien vers le « Rotterdams Philhamonisch Orkest ». En avant-propos, les musiciens ont écrit : (traduction en français) « Nous nous adaptons à une nouvelle réalité (le covid-19) et nous devons trouver des solutions pour nous soutenir mutuellement. Les forces créatives nous aident, sortons des sentiers battus et utilisons l’innovation pour maintenir notre lien et le faire fonctionner, ensemble. Car si nous le faisons ensemble, nous réussirons ».
Profitez de ce moment musical empli de performances techniques, de grâce et d’optimisme que cet orchestre délivre …
Mettez le son et un petit clic au milieu de l'écran ci-dessous !


dimanche 22 mars 2020


DES VIES
Un quotidien ordinaire, la passion de l’aventure, des existences plongées dans la tragédie : des livres en font le récit et perpétuent la mémoire de ces destins singuliers.

  Au cours de ses pérégrinations dans Paris, une adresse s’est fixée dans le quotidien de Ruth Zylberman. A partir de ses observations et de ses recherches, elle a réalisé un film : Les enfants du 209 rue Saint-Maur, Paris Xe qui est en ligne ici. Elle y retrace les vies brisées par la déportation de familles habitant l’immeuble, par le témoignage de quelques rescapés encore vivants.
A la suite du film, elle publie 209 rue Saint-Maur, Paris Xe. Autobiographie d’un immeuble (Seuil/Arte Editions 2020). Elle a reconstitué l’histoire de cet immeuble, de sa construction au milieu du XIXe siècle jusqu’à sa restauration près de deux siècles plus tard. Côtoyant le récit de son travail de recherche puis de réalisation du film, elle offre sa réflexion sur les traces du passé, elle montre comment elle a relié les vivants à leur histoire tragique, elle rend présentes et vives des paroles longtemps refoulées. Bien plus qu’une simple évocation, c’est un livre émouvant, puissant, qui noue des liens entre passé et présent, qui montre que les sentiments, même profondément enfouis, persistent dans le temps d’aujourd’hui.
Une passionnante interview de Ruth Zylberman est ici.

  C’est un passé glacé, enfoui sous la banquise que révèle le roman d’Hélène Gaudy, Un monde sans rivage (Actes Sud 2019). En 1930, le jeune marin d’un baleinier découvre sur l’île de Kvitøya au nord de la Norvège les restes d’un aérostat et des ossements humains. Les recherches révèlent qu’il s’agit de trois hommes, des Suédois, partis en expédition dans le grand Nord en 1897 pour cartographier les régions polaires. Outre le ballon, on retrouve auprès de leurs dépouilles des carnets, des lettres, quelques objets quotidiens, un lourd appareil photographique et des pellicules en rouleaux, protégées dans des boîtes métalliques et prêtes à être développées.
A partir de ce matériel soigneusement mis à jour et présenté dans une exposition, Hélène Gaudy construit un roman chaleureux et plein d’humanité. Les bribes du journal de bord lui permettent de reconstituer le quotidien des explorateurs dont la nacelle s’est échouée sur la banquise. Des fragments de lettres jamais envoyées révèlent leurs sentiments, l’attention qu’ils portent à leurs proches. C’est un espace vertigineux qui est révélé, sur lequel s’éparpillent des traces ténues qui portent vers d’autres champs, qui rappellent d’autres explorations.
Une longue et passionnante critique du roman est ici, tandis qu’Hélène Gaudy le présente .

  Au jardin des Plantes à Paris, Christine Montalbetti se sent chez elle. Elle a découvert que son arrière-arrière grand-père y fut jardinier dès l’âge de dix ans, puis botaniste associé aux travaux des chercheurs. Elle retrace cette vie jardinière dans un roman touchant, sensible, Mon ancêtre Poisson (P.O.L. 2019).
Né en 1833, mort en 1919, Jules Poisson a laissé des traces non seulement dans sa famille mais également dans les archives du Muséum d’histoire naturelle. Lettres privées et officielles, dossiers administratifs, articles, Christine Montalbetti s’est appuyée sur ces multiples sources. Elle y a découvert un fils de son ancêtre, Jules Eugène, peu connu dans l’histoire familiale et dont la vie de botaniste est évoquée dans le roman. Avec les souvenirs et les confidences de sa grand-mère, elle-même petite-fille de Jules, elle a comblé, par-delà les générations, des lacunes paraissant infranchissables.
Une longue présentation, quelques pages du roman et un entretien sont ici et une vidéo sur fond sonore d’activités du jardin des Plantes est .

La lecture au temps du virus…
La saison commence en mode ‘confinement’ : c’est le moment idéal pour lire ce qui s’empile sur tables de chevet, rayons de bibliothèque et bureaux, pour relire ce qui nous a passionnés. Sans oublier d’entamer et de nourrir la liste des titres que nous commanderons à nos indispensables libraires et bibliothécaires lorsque la vie aura repris son cours normal.

vendredi 20 mars 2020

LE MONDE À L'HEURE DU cORONAVIRUS


Mais … aussi en s’abonnant à la newsletter d’harmonia mundi , ce site propose chaque jour un moment musical en accès libre …

jeudi 5 mars 2020


« La réforme des retraites ouvre une ère d’une cinquantaine d’années d’incertitude et de complexité »



L’économiste Michaël Zemmour et un expert de la Sécurité sociale observent, dans une tribune au « Monde », qu’aux termes mêmes de la loi il n’y aura pas de système unique avant un futur lointain et hypothétique… autour de 2070.

Puisque le gouvernement a choisi de recourir à l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution pour faire adopter sans vote le projet de loi portant sur la réforme des retraites, il est temps de dresser un portrait-robot de la réforme telle qu’elle pourrait s’appliquer si le processus législatif était conduit à son terme.
En effet, la réforme que nous pourrions bientôt voir à l’œuvre est bien différente de l’image d’Epinal d’un système simple, unique et universel. Les mesures les plus contestées (réforme paramétrique, étatisation, règle d’or) commenceraient à être mises en œuvre avant même la prochaine présidentielle.
En revanche, aux termes mêmes de la loi, il n’y aura pas de système unique avant un futur très lointain et hypothétique, autour de 2070. Autrement dit, la réforme ne met pas en place un nouveau système de retraites, mais ouvre une nouvelle ère, d’une cinquantaine d’années, faite d’incertitude et de complexité, que l’on pourrait baptiser « la transition permanente ».
Reprenons la chronologie des évolutions prévues par la loi, que l’on peut regrouper en trois phases.
Une baisse de droits de 300 euros par mois
La première phase serait une phase d’étatisation et de plans d’économies. Dès 2022, l’ensemble des caisses de retraite passent sous le contrôle de l’Etat et de la loi de financement de la Sécurité sociale. Le gouvernement et le Parlement ont alors la main sur la gestion de l’ensemble du système, et peuvent suivre, ou non, les avis et délibération des partenaires sociaux, qui ne sont « administrateurs » du système qu’en façade.
La même année, de nouvelles mesures de baisses de droits sont mises en œuvre à la suite de la conférence de financement. L’hypothèse d’un âge pivot atteignant 64 ans en 2027 tient la corde, mais ces baisses de droits pourraient prendre d’autres formes : allongement de la durée de cotisation ou report de l’âge légal. Ces mesures d’économies, applicables dès la génération 1960, représenteraient une baisse de droits permanente de 300 euros par mois en moyenne pour la génération 1965.
A partir de 2025, la « règle d’or » de l’équilibre financier entrerait en vigueur. Elle consiste à reporter tous les chocs économiques sur les assurés, et non plus à les faire absorber par la gestion du système de retraites. Ainsi, les générations nées avant 1975 ne sont pas concernées par une retraite « par points », mais elles seront les premières dont les pensions seront fortement affectées par la réforme.
La deuxième phase démarrerait en 2037 : à partir de cette année-là se mettrait en place un « âge d’équilibre » : tout départ avant cet âge donne lieu à un « malus » sur le montant de la retraite de 5 % par année manquante. Il n’y a dès lors plus de référence à la durée de cotisation. L’âge d’équilibre envisagé serait fixé à 65 ans dès 2037 pour la génération 1975, et devrait augmenter par la suite d’environ un mois par an.
Interminable transition
Cependant, à cette date et pour encore une trentaine d’années, il n’y aurait toujours pas de système unique par points. Le gouvernement a en effet fait le choix d’une transition longue, dite « à l’italienne », ce qui signifie que tout le monde serait « polypensionné » : chacun aurait, pendant trente ans, à la fois une partie de sa retraite calculée sur la base des différents régimes actuels (régime général, Agirc-Arrco, fonction publique, etc.) et une partie calculée en points.
Mais le malus lié à l’âge d’équilibre s’appliquerait bien, lui, à l’intégralité de la pension : la part « actuelle » et la part « en points ». En ce sens, et contrairement à ce qui a pu être dit, les « droits acquis » ne seront pas garantis. Des personnes ayant validé une carrière complète pourront tout de même subir un malus sur leurs « droits acquis ».
Cette interminable transition est porteuse d’une grande incertitude. D’abord, les modalités précises en demeurent obscures : elles ont été ajoutées par un amendement du gouvernement jamais débattu, et leur impact n’a pas été étudié. De plus, l’évolution des pensions de chacun dépendra de paramètres fortement manipulables par l’Etat, notamment l’évolution du point Agirc-Arrco pour le privé et l’évolution du traitement indiciaire pour le public.
La troisième phase, celle d’un système unique, n’est attendue qu’aux alentours de 2071, c’est-à-dire lorsque les personnes nées en 2004 atteindront leur âge d’équilibre, prévu vers 67 ans et 5 mois. C’est seulement à cette date que les premiers départs dans un système « unique, universel par points » auraient lieu. Autant dire jamais. Car aucune réforme n’a jamais organisé un système social un demi-siècle à l’avance, sans que celui-ci soit plusieurs fois réformé entre-temps.
Des réformes fréquentes et peu lisibles
On le voit : la mise en œuvre d’un système simple et unique, qui a alimenté une grande partie des débats concernant le projet de loi, n’aura pas lieu du vivant de la plupart d’entre nous. En lieu et place, on peut prédire sans trop s’avancer que, loin d’être « la dernière des réformes », le projet du gouvernement ouvre une longue période au cours de laquelle risquent de se succéder des réformes fréquentes, techniques et peu lisibles, visant à assurer la gestion d’une transition complexe et encore aujourd’hui mal définie.
Cela ne veut pas dire que la réforme du gouvernement n’aura pas d’impact à court terme, bien au contraire. Néanmoins, la plupart des enjeux les plus immédiats concernant notre système de retraites ne sont pas inclus dans la loi qui vient d’être adoptée sans vote : la règle d’or et la prise de contrôle des caisses par l’Etat relèvent en effet du projet de loi organique, la seconde loi du projet de réforme, qui n’a pas encore été débattue.
Les baisses de droits pour les générations nées avant 1975 et certaines modalités de la transition seraient, elles, réglées par ordonnances.
Le 49.3 n’y changera rien : la réforme des retraites est encore devant nous, et elle promet d’être longue !



Justin Benard est le pseudonyme d’un fonctionnaire d’administration centrale contraint au droit de réserve, membre du collectif Nos retraites.
Michaël Zemmour est économiste au Centre d’économie de la Sorbonne/CES-Université-Paris-I et au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques/Liepp-Sciences Po.